jeudi 14 mai 2009

L'INSEE analyse le partage de la valeur ajoutée

L'INSEE vient de publier un rapport sur le partage de la valeur ajoutée, en réponse à une requête de Nicolas Sarkozy.

Le rapport est né d'une commande présidentielle. Mais cette dernière n'est que la traduction du mécontentement populaire face à la stagnation salariale. Mécontentement qui a porté Sarkozy au pouvoir, sous fond de "travailler plus pour gagner plus", et qui a ressurgi au moment de la crise, avec ses révélations sur les rémunérations obscènes des grands patrons. On attendait manifestement la publication du rapport pour agir. A l'instant même de sa publication, Frédéric Lefebvre annonçait que le gouvernement prendrait des mesures, avec ou sans l'accord des partenaires sociaux. Le rapport est donc éminemment politique. Et son premier enseignement véritable est de nous dire ce qu'est le rapport du gouvernement en place aux savoirs statistiques, et singulièrement à ceux de l'INSEE : un prétexte à une action. Nullement quelque chose que l'on doit prendre au sérieux. Sur lequel on peut, en tout cas, faire pression pour que la mesure qu'il offre soit politiquement opportune.

On retrouve dans le rapport certains éléments que j'avais mis en avant dans mes deux billets sur la question. La problématique en est toutefois profondément différente. Le rapport porte sur l'évolution du partage de la valeur ajoutée, mais il consacre pourtant de très longs développements au lien entre productivité et salaire -question connexe, mais distincte.

Tout se passe comme si le rapport faisait un petit cours d'économie aux français. Ces derniers ont, pour la plupart, une vision rudimentaire de l'économie, qu'ils transforment en un jeu à somme nulle : pour que l'un (les patrons) gagne, il faut que l'autre (les salariés) perde. Ce qui les conduit à l'inférence en partie fausse que si les salaires n'augmentent pas c'est en raison de l'accroissement de la part des profits. Pourtant, sur le long terme, la hausse des salaires est étroitement corrélée avec la hausse de la productivité. Et c'est avant tout parce que la productivité stagne depuis 20 ans que les salaires augmentent faiblement. Le problème, ce n'est pas le partage du gâteau, mais sa taille :

Sur longue période, c’est le ralentissement des gains de productivité qui l’emporte, entraînant dans son sillage l’évolution des salaires.

Au contraire, le rapport s'interdit de mettre en perspective les évolutions qu'il constate pourtant dans la répartition de la valeur ajoutée, notamment dans l'usage par l'entreprise de la part qui lui revient après payement des salaires. On relève notamment cette phrase :
Sur la période récente, la capacité d'autofinancement se contracte à nouveau, avec pour corollaire une baisse du taux d’autofinancement. Ces évolutions trouvent leur origine dans la forte augmentation de la valeur des fonds propres des entreprises et la croissance corrélative des dividendes versés.
En clair : les entreprises payent tellement de dividendes, qu'elles n'ont plus assez de cash flow pour investir. Si elles veulent investir, il leur faut s'endetter beaucoup plus qu'auparavant. Pour le dire différemment, les actionnaires sont tellement gourmands qu'ils menacent la dynamique d'accumulation du capital. Pourtant le rapport ne dit rien du pourquoi d'une telle évolution. C'est là que le rapport est le plus faible : dans son absence presque complète de problématisation des mécanismes sous-jacents aux transformations qu'il constate.

Dernier constat : les critiques massives que reçoit l'INSEE depuis 10 ans sur la médiocrité des données qu'il fournit portent de plus en plus. Jusqu'à il y a peu on ne pouvait analyser sérieusement les évolutions les plus importantes dans les inégalités économiques à partir des données de l'INSEE. Elles sous-évaluaient les revenus du patrimoine, alors que leur croissance est une des causes le plus importantes de l'accroissement des inégalités. L'année dernière, l'institut a commencé à mieux les intégrer. D'un seul coup, les 10% les plus riches se sont retrouvés 20% plus riches qu'auparavant relativement aux 10% les plus pauvres.

Ces données, d'autre part, rendaient impossible l'analyse des évolutions salariales parmi les 10% des salariés les mieux rémunérés. Or, comme je le soulignais dans mon billet, c'est là qu'a lieu l'essentiel de la dynamique inégalitaire entre les salariés depuis 20 ans en France. Le travail de Camille Landais en avait fait la démonstration. L'INSEE a été contraint, faute de retirer tout sérieux à son travail, de produire enfin les données pertinentes, que l'on trouve dans le rapport (j'attends toutefois les séries statistiques en ligne).

Finalement, je crois que la seule annonce positive de ce rapport est que si, par le passé, la qualité des données de l'INSEE étaient outrageante au regard de celle des statistiques américaines, une partie du retard commence à être comblé. Pour l'écart des rémunérations, il faudra probablement attendre davantage.

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