mardi 20 octobre 2009

Pendant la crise, les bonus continuent

Alors que les économies occidentales traversent leur plus grave récession depuis 70 ans et que les États s'endettent à coup de milliards d'euro pour assurer la reprise, le secteur bancaire, qui est à l'origine de ce désastre, est redevenu en partie profitable.

Plus étonnant encore, les bonus que les banques versent à leurs salariés les mieux payés, travaillant généralement dans les activités à risque à l'origine de la crise, sont en passe de dépasser les niveaux pourtant records de 2007 : ils seront d'approximativement 140 milliard de dollars aux États-Unis.

La crise économique n'a donc rien changé à une tendance de fond : l'explosion des rémunérations dans le secteur financier, en partie grâce à ces bonus.

Une étude a montré que cette tendance était un produit de la libéralisation financière, et ne pouvait pas être entièrement expliquée par une modification des caractéristiques objectives des travailleurs dans le secteur financier, en particulier par l'augmentation de leur qualification relative. Une partie non négligeable (de 30 à 50%) de cette explosion correspond donc à une rente pure, que perçoivent ces salariés sur le reste de l'économie.

Mais les bonus cette année se produisent dans des conditions telles qu'ils en choquent jusqu'à The Economist : même les banques qui perdent de l'argent les payent. Le secteur bancaire américain est, en effet, loin d'être sorti de la crise : de nombreux acteurs majeurs du secteur sont toujours déficitaires. En particulier, 4 des 10 banques d'affaire de Wall Street ayant distribué les bonus les plus importants ne seront pas rentables cette année, dont notamment Citigroup et Bank of America.

Et c'est cela qui choque The Economist : alors que les actionnaires perdent de l'argent, les salariés les mieux payés perçoivent des bonus, censés récompenser leur performance. Autrement dit, quoiqu'il advienne, qu'il n'y ait ou non performance, les bonus sont là.

Tout se passe donc comme si le capitalisme marchait sur sa tête : les actionnaires perdent de l'argent, notamment parce que leur entreprise paye des bonus considérables à des salariés totalement non performants. Et c'est bien ce que The Economist trouve insupportable, posant la bonne question : pourquoi les actionnaires ne disent rien ?

Cette situation folle, où les actionnaires se dépouillent pour garantir le train de vie des traders, plaide en faveur des réponses "sociologiques" à cette question. Dans ce type d'explications, dont Olivier Godechot donne la version la plus sophistiquée, on assiste tout simplement à un "hold-up". Les traders s'approprient les actifs de leur banque (modèles mathématiques, équipes de collaborateurs, etc.) et sont capables de créer un rapport de force favorable en menaçant de la quitter avec ces actifs.

Cela nous rappelle que la question des inégalités économiques ne se posent plus exclusivement, voire même principalement, en termes de partage de la valeur ajoutée entre le capital et le travail, mais bien au sein même du travail. Ici, les inégalités économiques considérables qui se créent opposent en effet les salariés entre eux : les salariés à très hautes rémunérations et les autres, qui ne peuvent opérer ce genre de "hold up".

Cela nous ramène surtout à une évidence : rien de fondamental n'a été changé dans le monde des activités financières. Il faut en effet être naïf pour croire que l'on peut arrêter un "hold-up" avec des codes de bonnes conduites et autres proclamations solennelles. En économie, l'éthique n'existe que lorsqu'elle s'incarne dans des structures d'incitation, qui font ici toujours totalement défaut.

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Merci pour ce nouvel article, clair et concis, et qui explique si bien le problème.

    Je me permets juste de relever une petite coquille de pure forme : vous avez écrit "censés récompensés" et non "récompenser".

    A bientôt,

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  2. Si tu veux rigoler un grand coup, jette un oeil au discours que le vice président de Goldman Sachs a prononcé le mois dernier à Saint Paul, il vaut le détour!

    Bon soit, je n'arrive pas à coller le lien, tu n'as cas taper "public must learn to tolerate the inequality of bonus" dans google, c'est un article du Guardian.

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