mercredi 15 juillet 2009

La fin de Wikipédia (II) (annexe)

Annexe du post La fin de Wikipédia (II)

Un lecteur se demande si les processus que j'ai mis en avant se retrouvent pour des versions linguistiques de l'encyclopédie 1) où le réservoir démographique va croitre, comme c'est le cas pour la version espagnole (pays d'Amérique latine possédant encore de faibles capacités en matière de connection internet) et 2) pour les langues possédant peu de locuteurs.

La réponse est, fondamentalement, oui : on retrouve ces processus, avec des variantes.

1) Ainsi, la version en espagnol de Wikipédia a connu une croissance de son nombre d'utilisateur très proche de la version française.


Une différence se dégage toutefois : la croissance du nombre d'utilisateurs a été, longtemps, beaucoup plus lente que pour la version française. Elle est presque nulle pendant deux ans. Par conséquent, le point d'inflexion (moment où le nombre de nouveaux contributeurs par mois diminue) dans la croissance du nombre de contributeurs a été décalé par rapport à la version française d'approximativement un an.

On peut, peut être, rattacher cette croissance initialement plus faible au relatif retard en matière de connexion internet d'une partie de la population hispanophone. Mais je vois bien d'autres causes possibles, notamment parce WK esp partage cette propriété avec une wikipédia à faible population (suédois, cf. infra).

La croissance du nombre de contributeurs très actifs est, de la même façon, très semblable à celle de la version française, avec un décalage d'approximativement un an, conforme au décalage de la croissance du nombre total de contributeurs.

Il me semble toutefois que ces graphiques n'épuisent pas la suite possible de la croissance de Wikipédia en espagnol. La population hispanophone en Amérique latine dépourvue de connexion internet est encore considérable : peut être peut on envisager un rebond dans l'avenir du nombre de contributeurs, à proportion de l'amélioration de l'accès à internet ? C'est nécessairement un processus long, et qui ne peut encore se constater.

Je crois toutefois qu'il faut le nuancer : la connexion à internet ne fait pas tout. Le capital culturel qui fournit la compétence indispensable à l'édition de contenu est tout autant indispensable. Or, on peut penser que, parmi la population hispanophone, ceux qui disposent du capital culturel adéquat disposent déjà, pour la plupart, d'une connexion. Si c'est le cas, la croissance de la population de contributeurs dépendra de l'amélioration de la scolarisation et du capital culturel parmi les populations hispanophes. Ce processus est temporellement encore plus long, mais il peut conduire à une "longue traine" dans la croissance de contributeurs sur Wikipédia en espagnol. La version française fait face, à un degré moindre, à la même problématique, avec les francophones d'Afrique.


2) Pas de différence majeure dans la croissance de Wikipédia en suédois, exemple de version avec une petite communauté linguistique. On constate, comme pour la version espagnole, que la croissance est initialement beaucoup plus lente. La principale différence est que le taux de croissance du nombre de contributeurs est plus faible que sur les "grosses" Wikipédia.







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La fin de Wikipédia (II)

Nous avons vu, dans un premier épisode, que l'augmentation du nombre de contributeurs sur Wikipedia avait répondu très étroitement au modèle de croissance logistique : croissance exponentielle initialement, puis freinage de plus en plus fort jusqu'à la population maximum potentielle, fonction de divers déterminants, dont le degré d'acceptation culturelle d'une encyclopédie "éditable par tous".

Cela pose, pour l'avenir de Wikipédia, deux problèmes majeurs : 1) qui va continuer à entretenir et gérer l'encyclopédie ? 2) le contenu de l'encyclopédie est-il condamné, tout comme le nombre d'utilisateurs, à stagner ? Nous aborderons le premier problème dans ce billet, le second dans le suivant.

Parmi les contributeurs qui rejoignent l'encyclopédie, certains s'y investissent davantage. Ils éditent l'encyclopédie à de multiples reprises chaque mois, souvent sur une période relativement longue. Ces utilisateurs jouent un rôle essentiel : parce qu'ils sont à l'origine d'une partie très importante du contenu, et plus encore parce qu'ils gèrent au quotidien l'encyclopédie. Ils améliorent la présentation des articles ; ils créent des liens entre ceux-ci ; ils font face au vandalisme qui est l'un des fléau d'une encyclopédie éditable par tous, y compris par des collégiens dans une salle de permanence entre 14h et 15h ; ils en suppriment le contenu promotionnel, aberrant, politiquement orienté, etc. -condition de la valeur intrinsèque des articles et de la confiance que peuvent leur accorder les lecteurs. Ils font vivre l'encyclopédie, qui sans cette activité de gestion et d'entretien cesserait à brève échéance d'exister, et s'effondrerait, envahie par la publicité et les insanités, à la manière dont une ville tropicale abandonnée par les hommes est rapidement recouverte par la jungle.

Leur nombre a cru avec l'arrivé de nouveaux contributeurs : parmi ceux-ci, pour des raisons multiples, certains y ont "pris goût" et s'y sont investi. La croissance de leur nombre a suivi un processus logistique.

On peut toutefois constater que ce processus a été plus rapide que pour la croissance du nombre d'utilisateurs. Cela s'explique aisément : les personnes susceptibles de s'investir fortement dans Wikipédia sont également a priori les mêmes qui en entendent parler le plus vite, s'y essayent le plus rapidement, etc. -et deviennent par la même des contributeurs très actifs.

Ainsi, la population maximale de contributeurs très actifs (100 edits par mois) a été atteinte il y a maintenant deux ans. Depuis juin 2007, leur nombre fluctue autour de 750 sur Wikipédia en français. Si l'on observe attentivement le graphique, on peut toutefois constater que leur nombre est aujourd'hui légèrement plus faible qu'à la fin de l'année 2007.

Il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un accident statistique, bien que je ne l'exclus pas. En effet, on constate nettement ce même phénomène pour les contributeurs actifs (10 edits par mois), moins clairement pour les très actifs (100 edits), dans la Wikipédia en Allemand. Le succès de cette dernière est un peu plus ancien que celui de la Wikipédia en français : elle a atteint plus rapidement la population maximale de contributeurs actifs. D'une certaine façon, le présent de la Wikipédia en allemand dit ainsi l'avenir de la Wikipédia en français.

Or, comme on peut le voir, la population de contributeurs actifs sur Wikipédia en allemand, après avoir fluctué autours de son maximum, est en baisse depuis la fin 2008.

Le problème est en fait simple, et relève là encore de la croissance de population. Deux phénomènes rentrent en jeu :

1. De nouveaux contributeurs arrivent sur Wikipédia, et se prennent au jeu. Ils deviennent des contributeurs actifs ou très actifs.
2. Parmi ces contributeurs très actifs, certains partent, souvent par simple lassitude, parfois à la suite de conflits, inévitables dans un groupe social hiérarchisé et où il existe des enjeux de lutte, aucune version linguistique de l'encyclopédie n'échappant à ce dernier processus.

Aussi longtemps que le processus 1 a dominé le processus 2, la population a cru. On a vu que la croissance des nouveaux contributeurs suivait un processus logistique, augmentant rapidement initialement puis décélérant avant de devenir nulle. Il est arrivé un moment où l'arrivée de nouveaux contributeurs actifs ou très actifs a compensé très exactement le départ des contributeurs actifs ou très actifs. Leur nombre était alors stable. Nous rentrons maintenant dans une période où l'arrivée de nouveaux contributeurs sera très faible. Rien ne garantit que ce faible flux de nouveaux contributeurs conduise à un nombre suffisant de contributeurs actifs ou très actifs capables de compenser les départs. S'il n'en est pas ainsi, leur population va décroitre : c'est ce qui se passe pour Wikipédia en allemand pour les contributeurs actifs (10 edits par mois).

L'avenir de Wikipédia est donc en jeu : qui gérera et entretiendra l'encyclopédie, si le nombre des contributeurs qui effectuent cette tache diminue fortement ? Une partie de la réponse tient dans la croissance du nombre d'articles : une encyclopédie arrivée à maturité requiert une gestion bien plus faible qu'une encyclopédie dont le contenu croit de manière exponentielle. C'est au processus de croissance du nombre d'article qu'il nous faut donc maintenant nous intéresser.

Ce post comporte une annexe.

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samedi 11 juillet 2009

La fin de Wikipédia (I)

La création de Wikipédia a été un des événements importants dans le développement de l'internet 2.0. L'encyclopédie est aujourd'hui un des sites les plus visités au monde. Elle offre une contenu extrêmement large et riche, qui a conduit à la disparition (Quid, Encarta) ou à la marginalisation (Encyclopedia Universalis) de ses principaux concurrents. Sa fin est pourtant proche : du moins la fin du modèle par lequel elle s'est développée.

La principale spécificité de Wikipédia tient dans le fait qu'elle soit "librement éditable par tous" : elle est l'œuvre de centaine de milliers de contributeurs, anonymes et "amateurs" pour la plupart. Elle a ainsi redéfini les frontières de la légitimité intellectuelle, fondée antérieurement sur le modèle de l'auteur aux compétences universitaires reconnues, dont la signature certifie et authentifie la contribution.

Mais de cette spécificité découle sa principale limite existentielle : elle n'existe, et ne s'améliore, que pour autant que des contributeurs y participent. Son succès n'est pas détachable du processus social complexe par lequel des centaines de milliers de personnes ont accepté de créer de nouveaux contenus, alors qu'elles n'en tiraient aucune rétribution financière et en obtenaient une reconnaissance sociale nulle ou presque nulle, puisque leur travail est anonyme.

C'est ce processus social qui est arrivé à terme. Ce phénomène est parfois entrevu dans les pages communautaires de l'encyclopédie, notamment de sa version française. Il est généralement attribué aux conflits sociaux qui peuvent exister au sein de l'encyclopédie, provoquant le départ de certains contributeurs. Cette vision est, en fait, sociologiquement naïve, en ce qu'elle oublie la limite "écologique" sur laquelle s'est construite Wikipédia -limite qui était présente à l'état latent dès son commencement, avant même qu'elle ne soit atteinte.

Prenons le cas de la version en langue française de l'encyclopédie. Aussi vaste que soit le nombre de ses contributeurs potentiels, il n'est pas infini : parmi les 80 millions de francophones vivant dans un pays disposant d'un réseaux internet développé, il n'en existe nécessairement qu'un nombre précis, limité, prêts à ajouter du contenu dans les conditions très particulières (gratuité, anonymat) qui caractérisent Wikipédia (première limite) et disposant de compétences telles qu'ils puissent le faire (deuxième limite). Ce nombre atteint, la population de contributeurs cessera d'augmenter, ou elle ne le fera plus que selon le rythme très lent, presque imperceptible, des transformations démographiques de la population francophone (arrivée de nouvelles générations).


En première analyse, la croissance du nombre de contributeur répond donc grossièrement aux trois logiques suivantes :

1. Plus de contributeurs créent plus de contenu, et de meilleure qualité -ce qui améliore le trafic sur le site et attire donc plus de contributeurs potentiels vers celui-ci. Ces contributeurs vont à leur tour créer plus de contenu, ce qui attirera plus de contributeurs potentiels, etc.

2. Toutefois, à chaque fois qu'un contributeurs potentiel devient un contributeur actif le nombre de contributeurs potentiels total diminue -jusqu'à la limite fixée par le nombre total de contributeurs potentiels, acceptant les conditions spécifiques que fixe Wikipédia (anonymat, gratuité) (première limite).

3. Qui plus est, à chaque fois qu'un nouveau contributeur ajoute du contenu nouveau, le niveaux de compétence requis augmente et les contenus potentiellement ajoutables diminuent, ce qui limite la possibilité pour de nouveaux utilisateurs de contribuer. Au commencement du site, aucune connaissance, même la plus élémentaire, n'était présente : cela rendait possible la participation d'un très grand nombre d'utilisateurs. Au fur et à mesure que le contenu est complété, il n'existe qu'un nombre de plus en plus restreint d'utilisateurs disposant des compétences nécessaires pour encore participer. C'est le deuxième mécanisme qui explique la présence d'un plafond au nombre potentiel de contributeurs, à côté du nombre nécessairement limité de personne désireuses de partager leur savoir dans les conditions spécifiques que fixe Wikipédia.

Le premier mécanisme est caractéristique des croissances exponentielles. Les deux autres mécanismes freinent au contraire cette croissance, de plus en plus fortement au fur et à mesure que le nombre de contributeurs grandit jusqu'à atteindre la population maximale. Ensemble, ils forment une courbe de croissance dite logistique, qui les combine mathématiquement.

Depuis son commencement, la croissance du nombre total de personnes ayant participé à Wikipédia à travers un compte enregistré 1 a suivi très étroitement ce modèle théorique 2:

Le nombre de contributeur a rapidement augmenté, à un rythme exponentiel, puis après un point d'inflexion, sa croissance s'est ralentie, à mesure qu'il s'approche de son maximum. On voit que, à suivre le modèle théorique, le nombre total de personnes ayant participé à Wikipédia va atteindre ce maximum d'ici deux ans, avec approximativement 50 000 personnes ayant participé. La croissance du nombre de nouveaux participants dans le modèle théorique a, néanmoins, tendance à décroitre plus vite que dans la réalité : on peut donc penser que le processus prendra plus de temps pour arriver à son terme.

Pour mieux comprendre ce phénomène, on peut s'intéresser au rythme par lequel de nouveaux contributeurs sont arrivés sur Wikipédia depuis sa création :



La croissance du nombre de wikipédiens a accéléré très rapidement après la naissance de l'encyclopédie en français, pour atteindre son maximum à la mi 2007, un peu plus de 5 ans après sa création (moment de la croissance exponentielle, conforme au premier mécanisme). Depuis, le nombre de nouveaux wikipédiens par mois ne cesse de diminuer, même s'il le fait un peu moins vite que selon le modèle théorique (freinage dû aux deux autres mécanismes). Dans l'ensemble, cette croissance s'est faite conformément au modèle logistique, à l'exception de la fin de l'année 2005, marquée par un très fort afflux de nouveaux participants.

Le développement du nombre de wikipédiens sur l'encyclopédie en français n'a rien d'exceptionnel et se retrouve sur les autres versions linguistiques de l'encyclopédie. Il en va ainsi pour la deuxième plus grande version linguistique de l'encyclopédie, après l'anglaise : Wikipédia en allemand.




Cette similitude des processus souligne assez qu'ils répondent tous deux à la même logique, que stylise exceptionnellement bien le modèle logistique. C'est donc dans ce modèle de croissance de population qu'il faut chercher l'évolution du nombre de participants, et non dans l'analyse des conflits agitant la communauté des wikipédiens.

Toutefois, ce modèle n'explique pas un fait, qu'il met néanmoins en valeur : le nombre relatif de contributeurs à la version allemande a, dès le départ, été nettement supérieur à celui de la version française. Aux termes d'une évolution structurellement identique, sa population asymptotique l'est de 60% -proportion bien plus élevée que celle du rapport de germanophones disposant d'une connexion internet par rapport aux francophones. On peut y voir l'effet du rejet culturel bien plus fort dont a fait l'objet Wikipédia en France, comparé à l'Allemagne, en particulier au sein de ses élites intellectuelles. Nul Pierre Assouline de l'autre coté du Rhin, mais un financement public de son fonctionnement. C'est cela qui a limité le développement de Wikipédia en français. Mais il en était ainsi dès le principe.

La suite est à lire ici.

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1. C'est à dire de personnes qui ont créé un compte utilisateur, plutôt que d'utiliser l'"IP" de leur connexion internet, et qui ont au moins édité 10 fois Wikipédia. Les données sont disponibles ici. Ce post doit beaucoup à l'analyse de la croissance du nombre d'articles de Wikipédia en anglais disponible ici.

2. L'équation estimée ici est celle d'un modèle logistique standard : f(t) = population maximale/(1+a*exp(-r*t)), avec t le nombre de mois depuis la création de Wikipédia en français.


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samedi 4 juillet 2009

Pourquoi Armstrong ne gagnera pas le Tour de France

Un peu de détente sur ce blog, qui va se laisser aller au pari sportif, et révéler quelques passions secrètes de son auteur.

Armstrong tente à partir d'aujourd'hui, à 37 ans, son grand retour sportif sur le Tour de France. Si l'on se fie aux statistiques des victoires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n'a aucune chance de gagner.

Comme on le voit l'âge à la victoire prend la forme d'une superbe courbe de Gauss, de moyenne 27.89 ans et d'écart type 2.88. Or la loi normale est formelle : il a 0.08% de chance de l'emporter dans ces conditions (à 37 ans ou plus).

Vous me direz : il a déjà survécu à un cancer métastasé et remporté ensuite 7 tours de France avec la moitié de sa virilité. Rien n'est donc impossible à notre Chuck Norris de la bicyclette. Qu'il soit néanmoins permis de douter.

Toutefois, s'il y parvient, il entretiendra une anomalie statistique récente : l'élévation de l'âge des vainqueurs du Tour de France.

Comme on peut le voir, depuis la guerre, il y a eu trois grandes périodes en ce qui concerne l'âge moyen des vainqueurs du Tour : 1) juste après la guerre, 2) de 1953 à la première victoire d'Indurain (1991), et 3) de 1991 à aujourd'hui.

1) Entre 1947 et 1952, l'âge moyen fut particulièrement élevé : 29.5 ans. On peut penser que ce phénomène est la conséquence de la guerre. On peut en effet supposer que la guerre a brisé la possibilité pour les jeunes générations de s'entraîner et d'être sélectionné. Elle a ainsi limité l'apparition de nouveaux champions. Dans le même temps, elle a mis au repos forcé les grands champions d'avant guerre, qui, à âge égal, étaient moins fatigués et avaient accumulé moins de blessures que dans des circonstances normales. Ainsi, Bartali à 34 ans gagne le tour en 1948, 10 ans après sa précédente victoire. Après la première guerre mondiale, il y eut le même phénomène de manière encore plus marquée :


2) Entre 1953 et 1990, l'âge moyen est légèrement supérieur à 27 ans et répond à une logique purement stochastique.

3) A partir de 1991, l'âge moyen recommence à augmenter. C'est la conséquence d'un nombre important de victoires consécutives par Indurain (5) puis par Armstrong (7). Or ces deux séries furent à la fois longues et entamées relativement tard, presque à l'âge moyen de la période précédente : 27 ans pour Indurain et 26 ans pour Armstrong (presque 27, en fait, car il est de septembre). Ces deux séries de victoires ont donc conduit à un nombre important de victoire au dessus de l'âge moyen depuis la Seconde Guerre. Chose plus étonnante encore, elles ont été suivi d'une victoire à 33 ans l'année dernière par un ancien gregario qui s'est révélé sur le tard : Carlos Sastre.

Le vélo semble ainsi en passe de devenir un sport de vieux. Le pourquoi de la chose dépasse tout à fait mon domaine de compétence. Je suppose toutefois que les plus cyniques y verront un effet bénéfique des nouvelles générations de produits dopants (EPO et assimilés ; hormones de croissance) dont l'arrivée coïncide grosso modo avec la première victoire d'Indurain.

Les esprits plus sociologiques s'intéresseront eux à une transformation importante des carrières cyclistes, qui a été imposée par Indurain et systématisée par Armstrong : la concentration sur un nombre restreint d'objectifs, se résumant au Tour. Armstrong n'a jamais concouru sérieusement sur une autre course. On est loin de l'époque de Merckx, où les coureurs participaient à à peu près toutes les courses de la saison avec, très souvent, l'ambition de gagner. Je n'ai pas de stat sous la main, mais il me semble que c'est même le nombre de kilomètres parcourus par année qui a baissé nettement pour tous les cyclistes 1. Or, on peut supposer qu'avec la baisse du nombre de kilomètre, la fatigue physique accumulée, de même que les blessures, ont diminué à âge égal -ce qui a pour conséquence de prolonger la carrière. Et de rendre possible une victoire à 37 ans ?

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1. Les mêmes cyniques rattacheront également cette diminution des courses concourues au dopage. Le dopage sanguin impose, en effet, de longues plages d'entraînement où le coureur est loin des autorités, et lors desquelles il peut améliorer ses paramètres, puis attendre que les traces pharmacologiques disparaissent. Il peut même, à l'occasion, prélever une partie de son sang qu'il réinjectera lors des compétitions.


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mercredi 1 juillet 2009

Le Très Grand Emprunt National

Dès que l'on me pose une question sur le Très Grand Emprunt promis par notre président, je me trouve stupide et comme pris en défaut. Je ne parviens pas, en effet, à y trouver la moindre rationalité économique. Pourtant je ne doute pas des immenses compétences en ce domaine de notre Président et de ses conseillers. Mais j'ai beau prendre le problème par tous ses bouts, je n'aboutis qu'à des conclusions qui relèvent de la science politique de café du commerce.

Le président explique, en substance, que la situation est grave : le déficit budgétaire est considérable, 7 % du PIB cette année, pas beaucoup moins en 2010. Bon. La situation est si grave qu'il va falloir solliciter l'épargne des français, dans un vaste appel à l'unité nationale.

Et c'est là que je ne comprend plus rien. Je regarde ma courbe des taux sur les titres publics de l'État français, et je vois ça :


Les taux se sont effondrés depuis le sommet de la crise financière, surtout pour les maturités les plus courtes. Ce qui veut dire une chose simple : l'offre de fonds prêtables à l'État français a plus augmenté que la demande, bien que celle-ci se soit fortement accrue because les déficits abyssaux et tout ça. Sur le marché des titres publics, les choses sont en effet simples : il y a d'un côté l'État qui emprunte, et de l'autre les investisseurs qui prêtent. L'équilibre entre la demande d'emprunt et l'offre est constitué par le taux d'intérêt. Si celui-ci baisse, cela veut dire une chose simple : il n'y a aucun problème pour trouver des prêteurs. Au contraire, ceux-ci sont si nombreux que leur concurrence fait baisser les cours.

Alors pourquoi faire appel directement à l'épargne des français, puisque l'on en a pas besoin ? Voilà ce que je ne comprend pas.

Peut-être qu'il faut voir là un moyen pour payer encore moins cher les intérêts sur l'emprunt. Mais là, non plus, je ne comprend toujours pas. Depuis 30 ans, l'Etat français s'est efforcé de créer un marché profond des obligations publiques, de manière à pouvoir emprunter facilement avec de très faibles coûts de transaction, en mobilisant l'épargne du monde entier. Et voilà que l'on retourne à l'époque de Poincaré, en passant par des opérations aux coûts de transaction invraisemblables, par comparaison avec ceux des marchés obligataires publics modernes. Mais il y a pire : comme le dit ce banquier anonyme, qui ne doit rien avoir compris non plus : "Quand vous faites un emprunt auprès des particuliers, vous devez les inciter à souscrire avec un taux attractif qui permettra certes de rivaliser avec d'autres produits d'épargne, mais qui grèvera d'autant les finances de l'État". La rumeur évoque un emprunt à maturité de 5 ans, du type de celui que vient de lancer EDF. EDF emprunte à 4.5%. L'État, qui incite plus à la confiance, doit pouvoir attirer le petit prêteur à 4%, disons 3.7%. Aux dernières nouvelles, les BTAN à 5 ans étaient à 2.7 %, soit au moins 1 point de % de moins. Exercice : si l'emprunt est de 100 milliards, combien le contribuable va payer d'intérêt en plus, au bout de 5 ans, en ayant recours au Très Grand Emprunt National ?

Mais mes incompréhensions ne s'arrêtent pas là : on nous explique que cet emprunt aura pour but de financer des mesures précises, longuement réfléchies. Ah bon ? Je croyais pourtant qu'une règle fondamentale des finances publiques est la non affection des recettes aux dépenses. Il doit y avoir quelque chose que je n'ai pas saisi : notre président a toujours été soucieux de respecter les principes fondamentaux de notre droit.

Et c'est ainsi que je me retrouve contraint de faire de la science politique de bas étage. Je ne peux, en effet, m'empêcher de penser la chose suivante : si l'on lance ce Très Grand Emprunt National, c'est pour faire une campagne de communication politique et pas pour recueillir des fonds, dont on n'a pas besoin et qui coûteront cher. La seule finalité est de remettre au cœur de l'agenda politique l'équation de base qui sert en France à légitimer les réformes de l'État : l'État n'a plus d'argent, il faut donc qu'il diminue ses dépenses, et donc qu'il se réforme. Cette équation a été ruinée par la crise qui a vu l'État en faillite et aux caisses vides être capable de dépenser des milliards pour sauver le système financier. Il s'agit donc de la faire revivre, coûte que coûte, puisque sans elle, le roi est nu. Pour avoir un débat mature, informé, sur les véritables questions que pose la dette publique, il faudra donc encore attendre. Et subir ce déferlement de n'importe quoi économique devant lequel personne ne proteste tant semble être grande l'ignorance des mécanismes économiques de base, même dans l'opposition.


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